Politique

Transition au Gabon : L’Eglise et l’Etat, bras dessus bras dessous

Libreville, Mercredi 15 Mai 2024 (Infos Gabon) – Le sociologue Davy Daniel Bekale se refuse de réduire l’homme au rang d’un simple assujetti face à Dieu et rendant à César ce qui lui revient de droit. Bien au contraire, pense-t-il, c’est Dieu, « par l’institution Eglise et Etat qui sont mis en jeu comme serviteurs du citoyen ».

Rapports entre pouvoirs temporel et spirituel au Gabon, et si on nous avait longtemps caché la vérité. Bienvenue dans le dédale de cette lecture visant à décortiquer pour mettre au grand jour les grandes révélations enfouies dans le silence des chapelles et les arcanes des palais. Regard d’un chrétien, ancien élève de pères Jésuites, Historien.

« L’Eglise et l’Etat au Gabon : Et si Dieu et César servaient le même peuple », c’est le titre, on va dire, déroutant qui va chatouiller plus d’une cervelle du 2ème numéro de la Revue théologique et Pastorale du Clergé Gabonais « TOLEG » qui a été portée sous les fonts baptismaux le jeudi 09 Mai dernier dans la chapelle du Petit séminaire Saint Jean à Libreville.

Un sacré pavé dans la marre ! Les férus de belles lettres qui ont effectué le déplacement du Petit séminaire Saint Jean sis à la Gare routière en ont eu pour leur compte tant le panel était relevé et le débat passionnant.
Un petit voyage dans l’Histoire concernant les rapports de l’Eglise et de l’Etat nous rappelle que les relations entre ces deux institutions furent longtemps marquées par des antagonismes récurrents sur fond de luttes d’influence.

Chacune de deux institutions ambitionnant de vouloir exercer son emprise ou le contrôle sur l’autre. Une vieille rivalité naturellement émaillée des assauts et intrusions à répétition de l’une sur le champ de compétences de l’autre et inversement. Non sans laisser des stigmates.

Très peu s’en souviendront encore peut-être. L’un des plus célèbres épisodes qui porta cette guéguerre à son paroxysme fut, sans doute, celui qui eut lieu au XIème siècle ( le 25 janvier 1077) connu sous le chapitre de la querelle des Investitures.

Episode au cours duquel le futur empereur germanique Henri IV vint implorer le pardon du pape Grégoire VII et qui rappelle la célèbre expression devenue le symbole d’une humiliation politique : « Aller à Canossa ». On voit plutôt aujourd’hui l’événement comme un compromis ritualisé. Soit !

Beaucoup plus par ignorance qu’autre, par l’effet du temps, les humains ont fini par admettre comme une vérité de Lapalisse, l’idée selon laquelle entre l’Eglise et l’Etat la frontière est très étanche. Dogmatique !

On doit à la vérité de reconnaitre que l’opinion n’a fait que tomber sous les artifices de la rhétorique véhiculée par la célèbre maxime « Rendez à donc à César, ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » prononcée par Jésus lors de l’épisode dit de « l’impôt dû à César » pour échapper aux griffes des pharisiens et des hérodiens qui lui tendaient un sacré piège.

La revue TOLEG

Dans ce 2ème numéro de la Revue TOLEG, par une savante astuce d’un renversement rhétorique, à l’aide d’un dialogue fécond tissé entre spécialistes des sciences humaines et sociales et théologiens, les brillants auteurs ont réussi à dépoussiérer les saintes écritures avec le mérite de susciter un changement de perspective. Méritoire de leur part pour leur sagacité intellectuelle !

Et oui ! Il était temps de réaliser que le mur de séparation de pouvoirs entre le temporel (l’Etat) et le spirituel (l’Eglise) n’était qu’un leurre qui s’est finalement progressivement fissuré.

Des passerelles de collaboration au service du peuple

Certes sa chute totale est encore lointaine. En fait, il ne s’agit là que d’une séparation de posture derrière laquelle se cachaient (et se cachent encore) des véritables passerelles de collaboration qui concourent au service du même peuple dont l’un et l’autre revendique la défense des intérêts. Vrai ou faux ? C’est une autre paire de manches !

Par la touche d’une ingéniosité sans pareil, le Dr Dany Daniel Bekale, préfacier de ce numéro, se refuse de réduire l’homme au rang d’un simple assujetti face à Dieu, taillable et corvéable à merci et rendant à César ce qui lui revient de droit. Bien au contraire, pense-t-il, c’est Dieu, « par l’institution Eglise et Etat qui sont mis en jeu comme serviteurs du citoyen ».

Cette réalité, nous fait-on comprendre dans ce numéro, prend la forme au Gabon de l’accord bilatéral de coopération entre les deux institutions qui reconnaissent avoir la coresponsabilité du même peuple.

Les conférenciers présente la revue

D’ordinaire, en droite ligne avec sa doctrine sociale, l’Eglise a pour vocation de rester au ras du sol à côté du peuple vulnérable dont elle défend le bien-être. En s’occupant de la gestion de la Res Publica, l’Etat de son côté s’applique également à assurer le bonheur du même peuple.

Quid de l’Eglise du Gabon et ses rapports avec l’Etat ? De ce qui s’observe en la matière, il ne serait pas hasardeux d’avancer que tout semble être au beau fixe.

Au regard des signaux forts d’étroite collaboration entre ces deux entités, le Gabon, pour ce qui le concerne semble résolument avoir franchi un pas décisif et fait figure de cas d’école à faire pâlir les jaloux en Afrique centrale.

Une sous-région où les passes d’armes entre tenant du pouvoir et membres du clergé sont tout sauf une nouveauté.

C’est l’essentiel de la substance à tirer de ce 2ème numéro TOLEG où les contributeurs rivalisent en talents pour sortir la théologie de son rôle traditionnel d’herméneutique de la parole de Dieu pour lui ouvrir le champ vers une herméneutique de l’existence humaine.

Sacré travail à forte teneur pédagogique sur un double versant à la fois historique et factuel.

Si comme en RDC ces dernières années, l’intrusion de l’Eglise dans la vie publique est source de tensions sur fond d’outrages (on se souviendra de la célèbre phrase « Que les médiocres dégagent » du regretté archevêque le Cardinal Laurent Monsengwo), d’accusations d’intelligence avec l’ennemi dans le contexte de la guerre à l’Est du pays (une procédure judiciaire serait actuellement en instance contre l’Archevêque de Kinshasa le cardinal Fridolin Ambongo), au nom de la laïcité, il n’en est pas le cas au Gabon où les choses semblent plutôt baigner dans l’huile.

Le cardinal Fridolin Ambongo

Déjà en son temps, dans une dénonciation progressiste qui avait fait écho, l’abbé Noël Ngwa Nguema s’était favorablement prononcé en faveur de ce qu’il est convenu d’appeler « une action concertée » et de « l’articulation entre l’action publique de l’Etat et l’action, tout aussi publique, de l’Eglise en faveur de la construction d’une nation gabonaise plus juste et plus grande ».

« …La séparation de l’Eglise et l’Etat est l’un des dogmes qui régit les relations du temporel et du spirituel. Il circonscrit les domaines de chacun de façon étrange pour les Africains qu’il a été plutôt un frein au progrès, une source de préjugés et de méfiance qui a nui au développement total et harmonieux des Etats africains. Car, il a engendré, dans bien des cas, des oppositions, des divisions des fils d’un même pays et, de ce fait, la dispersion des efforts de tous », s’insurgeait-il.

Tout en acceptant le principe de deux cheminements différents qui concourent au salut du même peuple, la principale thèse soutenue dans cette production intellectuelle de belle facture oriente le débat vers une laïcité qui trace le cadre des rapports harmonieux entre deux institutions complémentaires.

Pour sûr, « l’Eglise ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’Etat, mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. Elle doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles sans lesquelles la justice, qui requiert aussi du renoncement, ne peut s’affirmer ni se développer », dixit lettre encyclique Deus Caritas de Benoît XVI.

Ce n’est un secret pour personne. Particulièrement en ce temps de transition politique au Gabon, la participation au débat public des acteurs majeurs issus de l’Eglise (le cas de l’Archevêque métropolitain de Libreville, Jean Patrick Iba-ba, celui de Mouila, Mgr Mathieu Madega Lebouakehan et Mgr Jean Bernard Asseko Mvé) et les autres confessions religieuses (les pasteurs Francis Mbandinga, Gaspard Obiang et autres…) est très significative.

Une situation qui alimente les débats aussi houleux les uns des autres avec en toile de fonds des incompréhensions si ce ne sont pas des soupçons de connivence au détriment du peuple. Qui dit vrai, qui dit faux dans tout ça serait-on en droit de s’interroger !

Visiblement au Gabon, les religieux toutes obédiences confondues sont dans les bonnes grâces des animateurs du nouveau pouvoir de transition qui, au demeurant, manifestent un intérêt accru de les voir s’impliquer davantage dans le processus de restauration des Institutions à même de permettre au nouveau Gabon de retrouver son statut de pays de cocagne.

Pour l’intérêt ou au détriment de qui ? Là réside toute la problématique.

Les membres du clergé et autres religieux de tout poils sont encore très visibles et en place au sein des organes non moins stratégiques dans les instances de transition.

ç’a été notamment le cas à la présidence du Dialogue national inclusif, présidence au niveau des commissions ou sous-commission, c’est le cas au niveau de l’aumônerie à la présidence de la République, c’est aussi le cas au niveau du pilotage de l’organe de suivi et évaluation des recommandations issues du DNI.

Belle une moisson non négligeable ! Ce n’est pas inutile de leur rappeler que le pouvoir use et corrompt.

Contrairement aux incompréhensions qui semblent progressivement enfler partout dans nos chaumières, corps de garde ou lors des soirées arrosées, rien donc de choquant !

Et, le Dr Dany Daniel Bekale ne s’embarrasse pas de fioriture : « Depuis l’indépendance au Gabon, César et l’Eglise ont toujours collaboré pour mettre ensemble un système de gestion du politique à partir des institutions traditionnelles et religieuses qui ont toujours participé à la gouvernance de la nation », argumente le sociologue.

Et les rites qui ont structuré la prestation de serment du président du CTRI avant sa prise de fonction n’en constituent pas moins une parfaite illustration. Morceaux choisis : « Je jure devant Dieu et le peuple gabonais…….. ». Citation non exhaustive !

Trêve de conjectures ! Pour clore ce débat vieux comme le monde, il y a lieu de se laisser inspirer par la production de Rolin Vianney Mintsa dans ce numéro fécondée par l’œuvre de Jean Baptiste Metz, qui présente la théologie comme « apologie de l’espérance ».

Ce n’est pas Frédo Giovanni Obame Degboevi qui pour sa part « suggère à l’Eglise et à l’Etat de se mettre ensemble, chacun sur son chemin, au service du même peuple » qui le démentirait.

« Que toute autorité vienne de Dieu » dont l’apôtre Paul se fait le chantre peut ne rien dire ! Si tant est que cette autorité n’apporte pas les preuves de l’ancrage de son magistère dans sa vocation à soulager les soucis du pauvre et du faible.

Dans sa contribution à ce numéro, Vianney Pamphile Assoumou Mvono ne manque pas de sonner l’alerte : « Que le tyran, le despote, l’usurpateur ne se fasse pas l’ami de Dieu en se consolant derrière le masque d’un pouvoir de droit divin pour vouloir justifier ses déboires, abus et autres méfaits ». Il faut savoir tirer l’ivrai du vrai.

L’assistance à la conférence

Aussi embraye-t-il en martelant. Chez Paul, dit-il, « la reconnaissance de l’autorité qui vienne de Dieu est celle qui repose sur un crédo ». Celui « d’assurer le bien-être de tous et rechercher en permanence la paix qui permet à l’homme créé à l’image de Dieu de vivre dans la dignité et de jouir grâce à la production (la sueur de son front) des fruits de l’abondance divine ».

Sur ce, que dire de l’embellie actuellement perceptible dans les rapports entre l’Etat et l’Eglise au Gabon ? Serait-on dans le cas de figure d’une relation si incestueuse au point de heurter les consciences des âmes éprises d’éthique ou de morale chrétienne ?

Que le clergé gabonais et les autres confessions religieuses (importées ou traditionnelles) sachent tenir parole pour accompagner la restauration des bonnes institutions qui servent réellement à recouvrer la dignité de l’humain créé à l’image de Dieu comme le leur recommande le paradigme de « la théologie de l’espérance ».

De regard d’ancien formé par l’école jésuite, il n’y a pas mille façons de conclure notre analyse qu’en disant ceci : en cette période « ô combien » sensible de transition, le peuple gabonais veut d’une Eglise consciente de « sa responsabilité d’être la main de Dieu qui prend soin de son peuple ».

Comme cela transpire à travers la somme d’articles qui constituent le menu de ce 2ème numéro TOLEG, « l’Eglise a le devoir de collaborer en sachant faire des compromis qui ne soient pas, pour autant, des compromissions ».

C’est gravé en lettres d’or dans les lignes de ce 2ème TOLEG ! Juré, promis ?
Chapeau aux artistes pour leur sagacité intellectuelle et la qualité de leurs différentes productions qui enrichissent l’éclat de cette œuvre rappelant sous forme d’un avertissement que « Une Eglise compromise, à force de compromis, n’est plus la voix de Dieu ».

« D’où la nécessité de baliser le chemin en proposant une éthique de coresponsabilité qui découle de notre lecture des Ecritures, du Magistère et des textes promulgués par le législateur pour encadrer la mission de l’Eglise ». Le peuple a tout entendu et attend beaucoup de ce mariage fécond entre l’Eglise et l’Etat au service du bien commun.

Reprenant Nicolas Machiavel, sachons garder présent à l’esprit que « En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal ». Pourvu que rien ne soit à l’identique des affabulations et du nihilisme de l’Etat antérieur au coup de libération du 30 Août 2023.

FIN/INFOSGABON/SM/2024

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