Cour criminelle spécialisée de Libreville : quand les écrits de deux penseurs gabonais résonnent avec l’actualité nationale
Libreville, Lundi 17 Novembre 2025 (Infos Gabon) – Par un étrange effet de miroir, les audiences qui se déroulent actuellement devant la Cour criminelle spécialisée de Libreville semblent donner vie, vingt ans plus tard, aux avertissements lancés par deux intellectuels gabonais : Alfred Nguia Banda et feu Me Louis-Gaston Mayila.
Ce que le pays entend aujourd’hui dans le prétoire, retransmis en direct à la télévision nationale, n’est autre que la matérialisation des dérives qu’ils avaient décrites, dénoncées et mises en garde dans leurs ouvrages respectifs. À l’heure où le Gabon engage la construction de la Vème République, leurs écrits redeviennent un outil indispensable pour repenser l’avenir.
Un procès qui bouleverse la nation
Depuis une semaine, les Gabonais suivent avec une attention fébrile le procès historique ouvert à Libreville, consacré aux présumés crimes financiers et aux troubles électoraux reprochés à des proches de l’ancien Chef de l’Etat. Dans le box, anciens directeurs, conseillers, financiers ou responsables administratifs se succèdent. Certains se taisent ; d’autres, au contraire, parlent beaucoup.
L’un d’eux, Mohamed Ali Saliou Oceni, a frappé de stupeur les citoyens par la précision et l’ampleur des sommes évoquées : des milliards dépensés dans l’opacité la plus totale, alors que des hôpitaux manquent de lits, des écoles s’effondrent et que même certaines administrations sont encore locataires, faute de bâtiments publics.
Ce procès, diffusé en direct sur Gabon 24 et suivi dans le monde entier, exhibe au grand jour ce que beaucoup devinaient mais que peu avaient osé nommer : corruption systémique, copinage institutionnalisé, tribalisme rampant, gaspillage des deniers publics.
Les mots sont crus, les faits parfois glaçants. Et pourtant, tout cela avait été dit.
Alfred Nguia Banda : un témoin précoce des dérives de la République
Dans De Gabon d’abord à la République au village, ouvrage qui se veut « pédagogique », Alfred Nguia Banda dressait déjà, il y a plusieurs années, une radioscopie lucide des tares de la gouvernance gabonaise. Pour lui, ces dérives ne sont ni conjoncturelles ni accidentelles : elles sont structurelles, transmises de génération en génération, parce que jamais corrigées.
Ce qu’il écrivait hier, ce qui semblait parfois sévère, apparaît aujourd’hui presque prophétique. Il dénonçait la gabegie financière, aujourd’hui exposée devant la Cour. Il alertait sur le tribalisme comme mode de gestion, que les audiences confirment indirectement. Il décrivait le fonctionnement clanique de l’État, que les témoignages actuels illustrent avec une dureté implacable. Il évoquait la malhonnêteté institutionnalisée, aujourd’hui mise en procès.
Mais ce que rappelait surtout Alfred Nguia Banda, c’est que son ambition n’était ni la vengeance, ni la dénonciation stérile. Son objectif, disait-il, était pédagogique : éduquer le citoyen, alerter les gouvernants et guérir la République avant qu’il ne soit trop tard.
Aujourd’hui, son livre prend soudain un second souffle. Il devient un outil de compréhension nationale. Un miroir qui renvoie au pays ses propres fissures.
Louis-Gaston Mayila : penser la refondation avant l’heure
Bien avant la transition ouverte le 30 août 2023, Louis-Gaston Mayila avait lui aussi tiré la sonnette d’alarme. Dans La Refondation de l’État au Gabon et Et maintenant Monsieur le Président, publiés à l’époque d’Omar Bongo, il dénonçait l’hyper-centralisation du pouvoir, l’usage partisan des institutions, le manque de contrôle effectif des finances publiques, l’absence de culture de responsabilité, la faillite de certaines pratiques politiques devenues « normales ».
Pour lui, le Gabon devait être reconstruit sur de nouvelles bases, par la réforme des institutions, de la justice, de la gouvernance économique et de la décentralisation. Il appelait à un dialogue national permanent, à une « république citoyenne » où le pouvoir ne serait plus confisqué mais partagé.
Aujourd’hui encore, même étant déjà parti, ses analyses nourrissent discrètement la transition et les architectes de la Vème République.
La concomitance entre les écrits de l’avocat et les révélations du procès n’est pas un hasard. Elle témoigne que le pays a ignoré trop longtemps ses penseurs.
Un procès qui oblige à regarder autrement la justice gabonaise
L’audience en cours devient aussi un test grandeur nature pour l’institution judiciaire. Le monde ne regarde pas uniquement les accusés. Il observe : la rigueur de la procédure ; la capacité d’indépendance des magistrats ; la solidité des preuves ; la qualité des débats ; le professionnalisme des juges.
On sait que dans ce dossier, l’État est victime. Mais demain, que se passera-t-il quand l’État sera mis en cause, quand des citoyens ou des entreprises seront plaignants ? La justice sera-t-elle aussi réactive ? Aussi outillée ? Aussi transparente ?
Ce procès doit donc servir non seulement à sanctionner des délits, mais aussi à refonder la justice.
Le rôle de l’État : éduquer, prévenir, structurer
Les écrits de Nguia Banda et Mayila montrent une chose simple :
on ne bâtit pas une République sans citoyens éduqués et conscients. Les comportements que le procès met aujourd’hui en lumière, notamment les détournements, les abus de pouvoir, les imprudences et le népotisme, sont aussi le produit d’un déficit d’éducation civique et politique.
D’où la nécessité, aujourd’hui, de rééditer ces ouvrages, les diffuser largement, les intégrer dans les universités, organiser des conférences-débats, encourager la lecture publique, financer la publication numérique.
Ce sont là des investissements d’État aussi importants que les routes, les hôpitaux ou les écoles. Car une société sans culture politique produit fatalement des dérives politiques.
Vers la Vème République : écouter enfin ceux qui avaient vu venir
La transition qui s’achève et l’entrée dans la Vème République constituent un tournant unique. Le Gabon a l’occasion historique de refaire ses fondations. Mais cette reconstruction ne peut se faire en vase clos.
Elle doit puiser dans l’expérience des anciens (Léon Mba, Omar Bongo, Paul Indjendje Gondjout), les écrits de Mayila, les analyses de Nguia Banda, l’observation du procès actuel, les attentes d’une jeunesse désormais informée et intransigeante. La reconstruction du Gabon passera surtout par la capacité à ouvrir toutes ses bibliothèques, qui sont restées fermées, et n’attendent que l’occasion de servir.
Car désormais, le pays entier sait que l’État avait les moyens de fonctionner correctement. Mais aussi combien ces moyens ont été détournés de leur finalité.
Les fonctionnaires, les magistrats, les enseignants, les étudiants, les diplomates : personne n’acceptera plus jamais que des primes ou des bourses ne soient pas versées à temps, que les services publics restent défaillants, ou que la République soit gérée comme une affaire privée.
Ce procès marque donc la fin d’un système. Mais surtout, il ouvre la possibilité d’en construire un nouveau.
Ecouter les livres, avant qu’il ne soit trop tard
Les ouvrages d’Alfred Nguia Banda et de Louis-Gaston Mayila ne sont pas seulement des textes politiques. Ce sont des manuels de survie républicaine, écrits avant que la maison ne prenne feu. Aujourd’hui, alors que la nation regarde ébahie les révélations du procès de Libreville, il serait irresponsable de ne pas rouvrir ces livres.
Ils contiennent les clés de ce que le Gabon doit devenir. C’est-à-dire un État juste, un État responsable, un État transparent et un État républicain.
Les écrivains ont fait leur part. Les juges font la leur. Les citoyens observent. Il reste maintenant aux gouvernants d’écouter enfin.
FIN/INFOSGABON/SO/2025
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